La chronique de July - Ne reste pas à ta place ! de Rokahya Diallo

Rokhaya Diallo, éditorialiste, réalisatrice, chroniqueuse, militante antiraciste et féministe nous a fait le plaisir, en décembre dernier, de participer à une soirée d’échanges en compagnie de Maboula Soumahoro, maîtresse de conférence à l’université de Tours spécialisée dans l’étude des diasporas africaines aux États-Unis et de plusieurs militant·es belges engagé·es dans la lutte contre le racisme et les discriminations autour du thème "Féminismes, anti-racismes : les mots du contre-pouvoir".

Proche des controversés Indigènes de la République, la présence de Rokhaya Diallo sur certains plateaux télé et ses prises de position suscitent invariablement un torrent de commentaires, tant sur les réseaux sociaux que dans le monde médiatique et politique. Dans son dernier ouvrage, la journaliste et militante nous raconte son parcours, son engagement pour les causes qui lui tiennent à cœur et sa philosophie de vie. Sans revenir, ou très peu, sur toutes les polémiques dont elle a pu faire l’objet, elle nous livre dans Ne reste pas à ta place ! un récit personnel, source d’inspiration pour tout qui souhaite s’investir dans le monde et investir dans sa propre existence. Lutter pour des causes oui, mais pas en s’oubliant ni sans se préserver.

Grâce à la complicité de ses parents qui l’ont toujours soutenue et lui ont donné la possibilité de renverser les déterminismes sociaux, elle devient une personne socialement polyglotte, comme elle se qualifie elle-même. "La question du racisme s’est finalement imposée à moi plus tardivement, lorsque j’ai découvert que le regard de la société me réduisait à ma couleur de peau alors que j’avais grandi en me pensant comme un être singulier". Disposant d’une grande force de caractère, elle apprend à s’affranchir des injonctions sociales, réalisant qu’elle ne rentrerait jamais dans les cases imposées par la société et décide de trouver toute sa puissance dans ses singularités. Forte de cette conviction, elle fonde l’association Les Indivisibles dont l’objectif est de déconstruire les préjugés et clichés ethno-raciaux en utilisant l’humour et l’ironie. C’est ainsi que le collectif organise les premiers Y’a bon Awards en 2009, cérémonie satirique récompensant des personnalités ayant fait des déclarations jugées racistes. C’est à l’issue de cette première édition, relativement relayée dans les médias, que Rokhaya Diallo commencera à être sollicitée par la presse et le monde militant. En dix ans, elle est parvenue à intégrer son engagement dans sa vie professionnelle, mais elle a surtout réussi à devenir une des personnes dont la voix résonne lorsqu’il s’agit de parler du racisme et de la position des femmes en France.

J’aime à dire que je suis un "accident sociologique". Une série de rencontres et de hasards, conjuguée à une réelle foi dans mes capacités et à une somme de travail colossale (je dors très peu), ont produit cette situation imprévisible.

"L’aventure d’être soi", "Accomplir ensemble", "Être fidèle à soi-même", "Saisir les opportunités et oser" sont quelques-uns des intitulés engageants qui jalonnent cet ouvrage dans lequel Rokhaya Diallo nous donne ses recettes pour mener la lutte tout en évitant de s’épuiser. Selon elle, il ne peut pas être bénéfique de se livrer corps et âme dans un ou des combats en oubliant de prendre soin de soi et des gens qui nous entourent. Ainsi, elle nous livre ses ficelles pour parvenir à faire face à l’adversité à laquelle tout combat confronte, tout en nous donnant des pistes de réflexion pour lutter contre le racisme et pour les droits des femmes, ses deux chevaux de bataille. Elle prône notamment l’utilisation de la non-mixité comme outil indispensable pour réunir les personnes discriminées et leur permettre d’échanger sur leur condition avec cet argument : "Reprocherait-on aux syndicalistes de ne pas inviter les patrons à des réunions ?" En matière de racisme, son combat porte également sur le critère de "normalité" imposé aux personnes appartenant aux groupes sociétaux minoritaires. Déclarant que la normalité est une fiction issue d’un rapport de force, elle dénonce le fait que les noir.es en France vivent avec une absence de reflet d’eux-mêmes dans les médias. Elle propose d’apprendre et d’adopter certains codes sociaux destinés à survivre dans un environnement hostile au départ. Elle estime que les femmes doivent être en droit d’intervenir dans le débat public sans être discréditées par leur apparence physique "Pour moi, être une journaliste sérieuse qui intervient à la tribune des grandes institutions et porter, lorsque j’assiste à une cérémonie, une tenue lamée d’or surmontée d’une coiffure conçue par une artiste capillaire n’a rien d’antinomique. Je ne veux pas être soit l’une soit l’autre : je suis tout cela en même temps. Comme l’ont chanté Chaka Khan puis Witney Houston, I’m every woman." En tant que femme appelée à s’exprimer publiquement, elle déclare avoir dû désapprendre toutes les injonctions qui lui parviennent quotidiennement pour apprendre à être simplement belle, ce qui passe, selon elle, par l’amour de soi. La parole publique étant toujours aujourd’hui un bastion masculin, on lui demande implicitement d’exprimer sa présence plus discrètement et d’une manière plaisante qui ne bouscule pas la domination masculine, ce qu’elle s’échine évidemment à ne pas faire ! Et cela fonctionne. Se focalisant sur ses objectifs, elle refuse de répondre aux obligations sociétales qui contraignent les femmes à être des superwomen, professionnelles impeccables, amantes expertes, amie dévouée jouant tous ces rôles à la perfection : "Nous n’avons pas vocation à être des super-héroïnes".

Consciente de sa position particulière et de la responsabilité qui pèse souvent sur ses épaules, elle nous livre un de ses secrets qui consiste à savoir prendre des pauses et à se rendre indisponible en se pensant comme faisant partie d’un collectif porteur d’une mission dont d’autres membres sont susceptibles d’assurer la continuité. Malgré quelques redondances et certaines propositions difficilement applicables pour tout qui ne disposerait pas des moyens humains ou financiers de les mettre en œuvre Reste à savoir si toutes ces recettes peuvent s’appliquer à tout.e un.e chacun.e … Ne reste pas à ta place ! rassemble une série d’outils destinés à mettre en place une militance joyeuse et épanouissante tout en montrant que les sources de nos forces sont en nous. "Fière de ma culture. Fière de ma couleur de peau. Fière de mes racines. Fière d’être celle que je suis. Et où que je sois, je proclame mon identité, même si son caractère composite met certaines personnes mal à l’aise". Son credo ? Rester fidèle à ses convictions, ce qui lui permet de rester à flot. Nous ne pouvons que souhaiter qu’elle garde le cap !

Ne reste pas à ta place ! Rokhaya Diallo ; Éditions Marabout, 2019

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