Maelström
Un tourbillon !
Pourrais-tu me décrire Maelström en quelques mots ?
Maelström est né en 1990 comme une revue bilingue franco-italienne destinée aux jeunes artistes ainsi qu’aux écrivains. D’emblée, on considérait que tous les arts avaient à se mêler les uns avec les autres. Et nous voulions aller même au-delà, donc on tendait la perche aux scientifiques, aux philosophes … pour ne pas rester sur nous-mêmes. Très vite, cela s’est étendu grâce à l’apport de parrains qui sont venus nous proposer des textes. Le premier parrain fut Gaston Compère, malheureusement un peu oublié aujourd’hui. Il nous a ouvert les portes de beaucoup de gens en me suggérant plein de noms à contacter. Dans la foulée, il y a eu Georges Thinès, Jacques Crickillon, Marcel Moreau et des gens comme ça. Ça, c’était vraiment les tous débuts, entre 1990 et 1992.
Puis il y a eu une phase où la revue a davantage travaillé dans l’audiovisuel, et donc le cinéma, avec notamment un réalisateur qui s’appelait Claudio Serughetti. Entre autres choses que l’on a fait avec lui, nous avons réalisé un film sur Gaston Compère : Polders, les noces de la terre, de l’eau et du ciel, un portrait poétique de l’écrivain produit par la RTBF et Arte. Ce fut notre phase cinéma avant que je ne revienne un peu plus aux affaires en 1996. Nous avons alors pu créer une collection de livres Maelström chez un éditeur qui s’appelait à l’époque Édifie Louvain-la-Neuve. Il ne faisait d’abord que de la philosophie mais qui nous a hébergé pour faire de la littérature. C’est là que j’ai publié nos onze premiers titres, qui ont un peu disparus. Seul reste le titre Pressé immobile d’Evrahim Baran que j’ai republié il y a quelques années. Et puis en 2001, il y a eu le vrai début de la nouvelle phase avec les éditions Maelström, entre 2001 et 2003, puis en 2007, le premier FiEstival, déjà au Senghor et en décembre 2010 l’ouverture de la librairie.
J’ai toujours défendu le fait que Maelström n’avait pas vraiment de ligne. Souvent, on me demande quelle est notre ligne éditoriale. C’est alors que je rappelle que Maelström, c’est un maelström, et donc un tourbillon. Maelström, en fait, c’est ma tête. C’est comme ça que je réfléchis, que je pense et que je vis. Je ne suis pas du tout quelqu’un de linéaire, un peu comme les conteurs, tu vois ? C’est ça que j’aime beaucoup chez les conteurs, ils ne t’emmènent absolument pas où tu penses qu’ils vont t’amener. Peut-être est-ce parce qu’ils ne savent même pas trop au début eux-mêmes où ils veulent aller. C’est pour ça que c’est une expérience de vie, et c’est comme ça que j’envisage la poésie. Comme le disait Antonio Bertoli, la meilleure poésie, c’est la vie. C’est donc une expérience de vie, et ça, ça va éclairer tout ce qu’on est en train de faire pour l’instant.
La question de la non-ligne éditoriale nous fait privilégier la poésie et les romans qui touchent et à l’imaginaire et au réel, et cela parce que l’exploration par la fiction et l’imaginaire me parait fondamentale afin de ne pas être dans le pur réalisme. Mais j’ai toujours eu envie de publier des essais, et nous en avons fait que quelques-uns, dont « Ni prison Ni Béton (présenté à la Maison du Livre en novembre 2019). Un autre projet s’appelle « Paroles données, paroles perdues » porté par le collectif Sylloge, composé de trois personnes, dont une, Lucie Martin, qui a surtout travaillé dans le secteur des sans-abris comme travailleuse de rue. J’ai moi-même travaillé dans le secteur social comme éducateur de nuit et lors d’une recherche, en 1999, menée pour refondre le secteur bruxellois de l’aide aux sans-abris, on m’avait appelé comme expert de terrain. Je m’étais occupé de faire les interview des sans-abris eux-mêmes, et suite à cela, une des seules recommandations qui avaient alors été mise en acte, fut de créer un espace de parole pour les sans-abris. J’ai animé cet espace pendant plusieurs années. S’est ensuite créée une Cellule d’appui au secteur sans-abri qui a repris mon travail. Quand j’ai quitté le social en 2009, quelqu’un d’autre s’est occupé de ces espaces de parole et le livre que Sylloge a fait concerne toute la phase après moi. C’est un ensemble de témoignages sur toute une série de questions très quotidiennes, très terre à terre et d’autres moins, sur les conditions des sans-abris et des sans-papiers à la rue. C’est un livre qui devait sortir juste avant le confinement et donc là, on s’interroge quant au bon moment pour le sortir.
En parlant du confinement, qu’avez-vous mis en place durant cette période ?
Il faut imaginer d’où tout cela part. Nous voulions montrer qu’on est vivant. Je n’ai pas prémédité de commencer mes lectures quotidiennes sur Facebook. Mais trois jours avant le confinement officiel, j’ai lancé « Poésie d’au-delà du confinement » dans l’objectif de me situer déjà au-delà. C’était ça le premier message que je voulais lancer et je ne savais pas du tout que j’en ferais une série. J’ai commencé par un et ce soir (le 6 mai) on sera au 53ème. Des gens m’ont même demandé si j’allais arrêter au moment du déconfinement, mais je ne me suis jamais posé la question. Maintenant, c’est parti, j’ai élargi et je fais ça avec d’autres personnes aussi de temps en temps. Là, ce soir, ce sera Laurence Vielle et Aurélien Dony. Il y aura Jérémie Tholomé, Kev La Rage, un slameur de Rennes et Gioia Cizanye ce vendredi 8 mai et Carl Norac et Jessy James La Fleur mardi prochain, le 12.
Ce confinement tombe au moment où devait commencer le FiEstival. C’est le moment où la librairie vit le plus, et vit le plus en public. Donc, avec Marcello et Stephen, on s’est dit qu’on allait laisser la possibilité aux gens de commander. Ils font la livraison à vélo ou à pied, mais cela reste assez symbolique.
Une autre chose que ce confinement a provoqué, c’est qu’on a accéléré la création du module de vente en ligne sur note site. Dès que le confinement a commencé, j’ai alerté mon webmaster qui a trouvé des solutions. On a mis un catalogue en ligne avec tous les livres disponibles à la boutique et les gens peuvent commander sur cette base, et on a des ventes en ligne quasiment tous les jours. Ça, c’est expédié depuis la Maison de la Poésie d’Amay, qui est notre distributeur. Là, tout le monde est en télétravail, mais deux fois par semaine, deux personnes s’y rendent pour assurer les commandes. C’était pour ne pas disparaitre complètement. J’ai beaucoup d’amis éditeurs qui soit n’ont pas cette vente en ligne, soit ne peuvent pas l’assumer au niveau logistique, soit, et cela c’est le pire, qui en sont interdits. Il faut savoir qu’il y a des diffuseurs et des distributeurs qui interdisent aux éditeurs de vendre en ligne sur leur site. Moi, je me dis qu’après ce qui vient de se passer, ils ont intérêt à renégocier d’autres trucs. Pour les petits éditeurs, il est clair que la vente directe est une part importante et si les libraires ferment, on est mal barré ! Pendant tout ce temps, les libraires n’ont pas pu se fournir, n’ont pas pu commander et là, ce qu’ils risquent de faire avec la réouverture, c’est de renvoyer beaucoup d’invendus. Nous, cela ne devrait pas trop nous toucher car la librairie, c’est une partie minoritaire de notre réseau de vente. Et dans la plupart des bonnes librairies, je pense qu’ils vont nous garder quand même. Dans une autre partie, nous avons convenu avec eux des dépôts, et donc cela ne leur coûte rien. Nous renvoyer des bouquins ne leur libérera pas de liquidités, donc ils ne le feront probablement pas.
Qu’est-ce que le confinement va changer pour vous à l’avenir ?
Pour Maelström et la boutique, nous sommes en pertes sèches pour la moitié de mars, tout avril et une bonne partie du mois de mai. C’est surtout lié au FiEstival qui génère une bonne partie de nos revenus. Le FiEstival est un moment important car on y vend pour moitié de livres à nous. Et puis il y avait le Marché de la Poésie qui devait se passer au mois de juin à Paris. Là aussi, c’est un moment où les petits éditeurs vendent beaucoup. Ce sont tous ces canaux directs qui sautent et qui vont être reportés, si tout va bien. Mais il faut aussi être lucides et se rendre compte qu’il est possible que l’on ne sache pas récupérer ce qui s’est passé là. Pour mon autre structure, la Maison de la Poésie d’Amay et l’Arbre à Paroles, il faut se rappeler que la maison joue le rôle de distributeur pour les éditeurs. Il y a donc une perte au niveau de la distribution. Mais nous sommes aussi imprimeurs, et là nous avons également deux mois de pertes sèches. À notre échelle, ça va être limite catastrophe. Pour l’instant, cela va être compensé par … rien, parce qu’on ne sait pas quelles aides pourraient nous arriver. Chez Maelström, on a eu une petite compensation avec les ventes en ligne, qui marche bien et ça, ça va durer. C’est un réflexe qui va rester chez des gens qui sont éloignés des villes où il y a des librairies, par exemple. Le fait qu’ils sachent que maintenant, ils peuvent commander nos bouquins, ça va faire une différence, clairement. Ça nous aura aidé aussi à mieux nous faire connaître de ce côté-là. Et l’autre initiative que j’aime beaucoup, c’est celle que Marcello anime tous les jours depuis le profil Facebook de la boutique. Chaque jour, il met en évidence un éditeur, par ordre alphabétique. Il en est à la Cinquième Couche, il a commencé avec Aden et il terminera par Ypsilon. Tous les jours, il met un éditeur en vedette avec quelques titres et un petit speech sur chaque livre. Pour moi, c’est aussi un message important et c’est comme ça qu’on a toujours vécu chez Maelström, au FiEstival et à la librairie, c’est qu’on n’est pas là que pour nous, mais aussi avec les autres. On est là collectivement. La librairie est vraiment toute petite et on aurait pu se satisfaire de faire comme font certains libraires-éditeurs qui n’ont que leurs livres, mais dès le premier jours, on avait une dizaine d’autres éditeurs dans notre librairie. Et ça, c’était super important pour moi, de faire un peu sur le modèle de City Lights à San Francisco, d’en faire une librairie des éditeurs indépendants. Et nous allons poursuivre sur cette ligne.
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